Bernanos et la France robotisée : « Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée…Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d’années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d’une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse. »

Bernanos publie sa fastueuse France contre les robots en 1945. Il rêve d’une France qui serait reine de la Liberté dans le futur, mais nous savons ce qu’il en est. Pour le reste il ne se trompe sur rien ; il voit un monde déjà unifié (le monde multilatéral est un simulacre sur le plan du réalisme) :


« Car, à la fin du compte, la Russie n’a pas moins tiré profit du système capitaliste que l’Amérique ou
l’Angleterre ; elle y a joué le rôle classique du parlementaire qui fait fortune dans l’opposition. Bref
les régimes jadis opposés par l’idéologie sont maintenant étroitement unis par la technique. »


Il résume le monde moderne :


« Un monde gagné pour la Technique (qui) est perdu pour la Liberté. »
Il voit déjà un monde fermé, comme celui de nos passes vaccinaux et politiques :

« Jamais un système n’a été plus fermé que celui-ci, n’a offert moins de perspectives de transformations, de changements, et les catastrophes qui s’y succèdent, avec une régularité monotone, n’ont précisément ce caractère de gravité que parce qu’elles s’y passent en vase clos. »

Le monde moderne est le fils de la civilisation capitaliste anglo-saxonne ; les démocraties et les dictatures ne sont pas très différentes :


« Ce qui fait l’unité de la civilisation capitaliste, c’est l’esprit qui l’anime, c’est l’homme qu’elle a formé. Il est ridicule de parler des dictatures comme de monstruosités tombées de la lune, ou d’une planète plus éloignée encore, dans le paisible univers démocratique. Si le climat du monde moderne n’était pas favorable à ces monstres, on n’aurait pas vu en Italie, en Allemagne, en Russie, en Espagne, des millions et des millions d’hommes s’offrir corps et âmes aux demi-dieux, et partout ailleurs dans le monde — en France, en Angleterre, aux États-Unis — d’autres millions d’hommes partager publiquement ou en secret la nouvelle idolâtrie. »

Bernanos résume son époque de pétainistes de 1945 :

« …contre de Gaulle cette poignée de nobles dégénérés, de militaires sans cervelle et sans cœur, d’intellectuels à la solde des spéculateurs, d’académiciens sans vergogne, de prélats serviles… »

Les seuls à défendre la tyrannie vaccinale sont d’ailleurs les gaullistes (il est vrai qu’en Gaule éternellement occupée tout le monde se réclame de lui). Bernanos aussi souligne une « coalition d’ignorance et d’intérêts… ». On est bien d’accord.

Pour le reste il rappelle :
« Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c’est le citoyen qui fait la République. Une démocratie sans démocrates, une République sans citoyens, c’est déjà une dictature. »


Depuis la Révolution Française on a créé le citoyen docile :


« Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d’années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d’une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation
plus minutieuse. »


Bernanos a été marqué par une pièce du méprisé Courteline :


« Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats…Ce n’était pas ses doigts que le petit bourgeois français, l’immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c’était sa dignité, c’était son âme. »
Ce résistant de l’âme annonçait un monde sinistre :


« Le petit bourgeois français n’avait certainement pas assez d’imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d’État guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d’hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. »


Avant le marquage numérique, le marquage digital n’est guère acceptable ; mais il fut accepté par tout le monde :


« Depuis vingt ans, combien de millions d’hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l’impossibilité non pas seulement de nuire aux Tyrans, mais de s’en cacher ou de les fuir ? »


Brève allusion au code QR ou au Nombre de la Bête :


« Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée. »


La civilisation de la liberté sous l’Ancien Régime (que Bernanos reconnaît, mais pas Foucault – par exemple) a disparu car le monde de l’Ancien monde est mort. Ce qui reste c’est le bobo acidulé ou le retraité téléphage que Bernanos décrit dans ses termes :


« Une civilisation ne s’écroule pas comme un édifice ; on dirait beaucoup plus exactement qu’elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que l’écorce. On pourrait dire plus exactement encore qu’une civilisation disparaît avec l’espèce d’homme, le type d’humanité, sorti d’elle. »


Le service militaire a joué son rôle (la France toujours est responsable…) :

« L’institution du service militaire obligatoire, idée totalitaire s’il en fut jamais, au point qu’on en pourrait déduire le système tout entier comme des axiomes d’Euclide la géométrie, a marqué un recul immense de la civilisation. »

Il ne faut pas s’étonner de la passivité et de la collaboration de la population. L’homme hait la
Liberté :


« Des millions et des millions d’hommes ne croyaient plus à la liberté, c’est-à-dire qu’ils ne l’aimaient plus, ils ne la sentaient plus nécessaire, ils y avaient seulement leurs habitudes, et il leur suffisait d’en parler le langage. Depuis longtemps, l’État se fortifiait de tout ce qu’ils abandonnaient de plein gré.
Ils n’avaient que le mot de révolution à la bouche, mais ce mot de révolution, par une comique chinoiserie du vocabulaire, signifiait la Révolution Socialiste, c’est-à-dire le triomphal et définitif avènement de l’État, la Raison d’État couronnant aussi l’édifice économique… »

Et notre écrivain ajoute magnifiquement :


« Ils le savaient bien, ils souhaitaient en finir le plus tôt possible avec leur conscience, ils souhaitaient, au fond d’eux-mêmes, que l’État les débarrassât de ce reste de liberté, car ils n’osaient pas s’avouer qu’ils en étaient arrivés à la haïr. Oh ! ce mot de haine doit paraître un peu gros, qu’importe ! Ils
haïssaient la liberté comme un homme hait la femme dont il n’est plus digne… »

Je vous laisse redécouvrir ce texte inoubliable et inutile.

https://fr.wikisource.org/wiki/La_France_contre_les_robots

https://fr.wikisource.org/wiki/Boubouroche_et_autres_pi%C3%A8ces/L%E2%80%99Article_330

4 réflexions sur « Bernanos et la France robotisée : « Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée…Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d’années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d’une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse. » »

  1. Merci à Derek pour l’article sur « la tentation numérique »

    M……le 11 juillet 2023

    Bonjour à tous les deux,

    Un commentaire pour votre (très bon) texte sur la robotique et la cybernétique

    Escapes de Gas est le titre du documentaire réalisé par Bruno de Salas en 2014.
    Chili, 72 mn

    En 1972, sous le gouvernement Allende, l’utopie collective socialiste trouve une de ses formes plastiques. Une tour monumentale, UNTAC III (h : 80m), symbolisera désormais, à Santiago, le socialisme émancipateur des forces vives de la nation.

    Cet ouvrage sera bâti en un an (275 jours) grâce à la ferveur populaire dopée par (la propagande) les discours (bon-enfants) humanistes.

    Le bâtiment est destiné à servir d’écrin à la Conférence des Nations Unies.

    « La révolution est culturelle et pas essentiellement militaire ». S. Allende

    Ainsi, ouvriers et 34 artistes oeuvrent ensemble au coude à coude pendant un an.

    5 architectes pour alimenter le projet, Mais, l’organisation est confiée à un ingénieur anglais spécialiste de la cybernétique.(je n’ai pas noté son nom…)
    Comme le rappelle une historienne de l’art

    Remarques :
    La population du Chili est majoritairement rurale (au moins à l’époque).

    Question :
    Derrière le projet (style nouvelle frontière ou utopie humaniste1) est-ce que l’idée n’est pas, déjà à l’époque, d’attirer vers les villes chiliennes la main d’oeuvre ? La modernité socialiste a besoin de bras.

    Actuellement, on en parle et les chinois construisent les « quartiers 5 mn » pour contrôler chaque individu au sein d‘une population.
    Or, il est tentant de faire le parallèle entre ces quartiers chinois et le bâtiment « multi-services » UNTAC III.
    Bien que le projet chilien soit pétri de bonnes intentions, son aspect physique s’apparente davantage à une ruche qu’à des bungalows pour farniente.

    Parallélépipède avec entrée-patio qui évoque bien l’ouverture en forme de tiroir d’une ruche.

    Façades rigoureusement quadrillées (ordre et propreté) : Sombres « fenêtres » alignées mécaniquement comme les alcôves des abeilles. (cf votre Maurice Maeterlinck)

    « Prototype de la modernité socialiste : faire accepter le confinement volontaire? »
    Vendre à la population que le paradis, le progrès consiste à s’entasser dans de minuscules espaces?
    « dé-romantiser l’art pour le re-politiser »

    D’ailleurs après le coup d’état de 1973, le bâtiment est recyclé en prison.

    D’ailleurs encore, la porte en métal d’origine (travail d’artiste) pourrait être celle de l’enfer de Dante :
    « lasciate ogni speranze voi ch’entrate »

    En 2015, il a été re-re-cyclé en centre culturel « Gabriela Mistral »

    Merci pour vos articles

    Aimé par 1 personne

    1. Très intéressant merci. J’ai vécu à Santiago, endroit sans aucune aura. Peuple chilien détruit et lobotomisé depuis longtemps. Coup d’Etat le 11 SEPTEMBRE 1973. Revoir l’assassinat du jouranliste par un soldat. Il filme sa mort sans réagir au lieu de s’abriter. Ce qui nous arrive aussi maintenant. Nous sommes absorbés apr els images.

      J’aime

Laisser un commentaire